Alors que Murville s'adonnait à ces réflexions, un fracas retentit au dessus des nuages, suivi par un sifflement strident. Ce phénomène évoquait l'explosion d'un obus à shrapnels, si bien que le groupe se jeta instinctivement contre les talus du chemin en se couvrant la tête à l'aide des mains. Mais aucune pluie de métal ne vint déchirer le ciel printanier.
« Tout va bien, annonça Herminoire au bout de quelques secondes. Je ne maîtrise pas encore la technologie de cette époque mais il semblerait que les avions produisent ce bruit quand ils dépassent une certaine vitesse. »
« Il a néanmoins largué un parachute »,
fit observer Olympe qui s'était déjà relevée pour surveiller les environs.
« Un homme ? »
demanda Murville à qui le mot rappelait les innombrables sauts qu'il avait effectués en territoire ennemi au sein des forces spéciales aéroportées de Napoléon IV.
« Dur à dire... »
« Attendez ! »
s'écria Herminoire en déployant une longue-vue télescopique fixée sur l'un de ses brassards de cuir.
« Vous êtes décidément un homme plein de ressources, professeur »,
ne put s'empêcher de dire Murville.
Mais le professeur de l'entendit pas.
« Ce n'est pas un homme... On dirait un genre de caisson. Ah, il vient d'atterrir... juste du bon côté de cette petite butte. Quelque chose bouge... Bigre, quelle surprise ! »
« Que voyez-vous ? »
« Regardez par vous-même car je n'en crois pas mes yeux... »
Murville s'empara de la lunette et constata que le caisson dont parlait Herminoire était en train de s'ouvrir, mû par un mécanisme interne automatisé. Il en sortit une sorte d'araignée de métal qui déploya ses longues pattes et se mit debout. Son « corps », qui culminait à la hauteur d'une tête d'homme, était pourvue d'une antenne, d'un phare et d'un canon de mitrailleuse relié à une interminable bande de munition.
« Bon Dieu ! Mais qu'est-ce que c'est que cette horreur ?! »
« Un Goliath, lui répondit La Fare. J'ai connu des types qui prétendaient en avoir combattus à la fin de la Grande Guerre, quand les Prussiens ont lancé leurs derniers prototypes militaires dans la bataille afin de retarder l'inéluctable
[cf « Münsingen inspirate » par La Quadrature ; merci pour l'idée, camarade
].
« Un Goliath ? Mais encore ? »
« C'est un miniblindé automatique : le nettoyeur de tranchées ultime. Ceux de notre époque n'étaient déjà pas faciles à combattre, alors je n'ose même pas imaginer ce que doivent être ceux d'aujourd'hui. »
« Peut-être ne va-t-il pas s'intéresser à nous ? »
fit valoir le comte qui déglutissait avec peine.
« J'ai bien peur de ne pas partager votre optimisme, reprit calmement La Fare. Ces machines sont conçues pour tuer tous les êtres vivants qu'elles repèrent. Leurs propriétaires eux-mêmes sont obligés de les désactiver avec une télécommande quand elles ont fait leur œuvre car elles ne distinguent pas les amis des ennemis. »
« On dirait bien qu'elle se dirige vers nous, ajouta le professeur qui avait récupéré sa longue-vue. Que faisons-nous, sergent ? »
« Steam-Marines, déployez-vous ! s'écria Murville. Prenez position dans les champs mais restez couchés jusqu'à ce qu'elle soit à portée puis balancez-lui tout dans le gueule ! »
« C'est-à-dire, sergent, que nous ignorons la portée exacte de ces « fusils d'attaque » dont nous venons de nous équiper »,
reprit La Fare d'une voix toujours aussi professionnelle.
« Eh bien... dans ce cas tirez quand vous sentirez que c'est le moment
», répondit-il en se sentant soudain sur le point d'être submergé par une nouvelle vague de panique.
Puis, considérant que l'action était le meilleur remède à la peur, il donna l'exemple en escaladant le talus et en bondissant dans le champ que le Goliath était en train de parcourir à la vitesse de ses grandes jambes arachnéennes. Il eut tout juste le temps de se jeter à plat ventre dans la terre humide quand la machine ouvrit le feu : un tas de pierres providentiellement situé quelques mètres devant lui arrêta la première rafale, qui se perdit dans une nuage d'étincelles et de silex pulvérisés.
A suivre